Madame la ministre, chère Sophie Cluzel,
Madame la sénatrice, présidente du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées, chère Dominique Gillot,
Madame la présidente, chère Delphine Ernotte,
Je suis profondément heureuse et honorée d’être parmi vous pour ce colloque sur le handicap et les médias. Je remercie le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées, et tout particulièrement Madame Gillot, pour l’accueil chaleureux et pour l’organisation de cette journée.
Merci de nous avoir réunis, vraiment, parce que c’est une révolution que notre société doit engager autour du handicap : autour de la conscience, de la perception qu’elle en a, et autour de la place qu’elle lui donne, qui ne doit pas être une place à part, mais une place entière. Il faut accepter de regarder le réel en face : les personnes en situation de handicap ont, en théorie mais pas en actes, les mêmes droits que les personnes qui ne le sont pas. C’est inacceptable. Une telle révolution, on ne la conduit pas seul. Il faut la mener à plusieurs, il faut la mener sur tous les fronts et il faut la mener par tous les moyens. La Culture en sera un. Sophie Cluzel le sait bien : trois semaines après notre nomination au gouvernement, nous nous sommes vues pour parler des actions que nous pourrions conduire ensemble. Nous avons eu le plaisir de l’accueillir au ministère pour la Fête de la Musique la semaine dernière. Nous avons l’honneur de l’accueillir au cœur du service public audiovisuel, à France Télévisions, pour ce colloque important. Nous nous sommes promis toutes les deux de visiter prochainement un institut médico-éducatif impliqué dans une action d’éducation artistique et culturelle.
La Culture en général, à travers les médias en particulier, a un rôle fondamental à jouer dans la politique en faveur des personnes en situation de handicap.
Parce que la Culture a un double pouvoir : celui de changer les vies et celui de changer les regards.
La Culture a d’abord le pouvoir de changer les vies.
Revenons à la puissance d’un verbe : se cultiver. Se cultiver, c’est se construire, se développer, s’émanciper. Cela ne peut pas être un privilège réservé à quelques-uns : c’est un droit fondamental pour tous. Dans mon passé d’éditrice, j’ai eu la chance de publier le roman Libertango de Frédérique Deghelt. Le personnage principal, le jeune Luis, naît handicapé pendant la guerre d’Espagne. Mais il a aussi une autre guerre à mener - je cite - : « [sa] propre guerre contre les hommes et leur fâcheuse tendance à ne pas vouloir d’un être différent. (…) Il faut aller chercher loin et profond des raisons de renaître à une autre forme de vie. » Il ajoute : « Je suis né enfin, à la plus pure proposition de l’univers : celle de l’amour de la musique. Elle ne m’a pas seulement sauvé, elle m’a constitué. » Je ne peux pas m’empêcher non plus de penser à Gertrude, jeune aveugle qui découvre les couleurs à travers la Symphonie Pastorale de Beethoven, dans le roman éponyme de Gide. Si je mentionne ce texte, c’est aussi pour vous rappeler combien le Président de la République est avec nous dans ce combat, puisqu’il y a fait référence dans un discours de campagne.
Voilà pourquoi nous conduirons une politique forte en matière d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. D’abord, l’accessibilité des lieux culturels : l’accueil des personnes handicapées doit être intégré systématiquement comme un critère de gouvernance et d’évaluation de tous les établissements publics et de toutes les structures labellisées par mon ministère. Ensuite, l’accessibilité des œuvres elles-mêmes : je pense bien entendu au livre et à la lecture, avec le soutien à l’activité des structures réalisant de l’édition adaptée ; je pense aussi au spectacle vivant, avec la mise en place d’un agenda d’accessibilité programmée aux œuvres au sein des lieux de diffusion ; mais je pense surtout aux programmes audiovisuels et aux médias, qui nous occupent tout particulièrement aujourd’hui.
A ce titre, l’audiovisuel public a un devoir d’exemplarité. D’importants progrès ont été réalisés par les chaînes de télévision ces dernières années. Les chaînes qui réalisent plus de 2,5% d’audience ont sous-titré l’intégralité de leurs programmes en 2016, conformément à leurs obligations. Le nombre de programmes audio-décrits diffusés par les chaînes en 2016 a été supérieur aux obligations minimales. Je salue d’ailleurs les résultats de France Télévisions en matière d’audio description : le nombre de programmes audio-décrits est passé d’environ 1 par mois en 2010 à plus de 3 par jour en 2016. Dans ce contexte, il faut aussi saluer la contribution de franceinfo, lancée en septembre 2016 : la jeune chaîne a proposé dès son lancement un niveau d’accessibilité deux fois plus important que la mieux-disante des chaînes privées d’information. Par ailleurs, les grands moments de la vie démocratique, comme les débats télévisés et les soirées électorales récentes, ont été rendus accessibles grâce au sous-titrage et la traduction en langue des signes française. C’est évidemment fondamental. Là encore, ce n’est pas de l’action en plus ou à part : c’est la responsabilité du service public dans la garantie des droits citoyens de chacun.
Ces démarches sont exemplaires, mais elles ne sont pas suffisantes. Le handicap ne doit jamais être un frein dans l’accès aux œuvres, mais il ne doit jamais être non plus un frein à la création. Je veux avoir, en la matière, une politique particulièrement forte en direction de la jeunesse. La pratique artistique permet de se construire, de se développer, de gagner en confiance. Les enfants en situation de handicap devraient presque être les premiers à pouvoir y accéder. Nous allons travailler en ce sens, pour qu’ils puissent accéder aux projets d’éducation artistique et culturelle, être accueillis dans les établissements d’enseignement spécialisés, comme les conservatoires, et être formés dans nos écoles d’enseignement supérieur, pour ceux qui souhaitent devenir des professionnels de la culture. Nous devons aussi faciliter l’accès aux dispositifs qui mêlent action culturelle et engagement citoyen. Je pense tout particulièrement au service civique, pour lequel j’ai demandé à mes établissements de s’engager et d’amplifier leur mobilisation dans ce sens. J’en ai vu un exemple très récemment : le service civique « Cinéma et Citoyenneté » d’Unis-Cité, financé par le CNC, qui recrute des volontaires en situation de handicap, que j’ai rencontrés le 25 juin. Certains volontaires étaient en situation de handicap et, pourtant, ils sont allés démarcher les proviseurs pour obtenir l’autorisation d’organiser des ciné-débats. Ils ont animé les séances, avec parfois des publics difficiles. L’une des volontaires en situation de handicap m’a dit ce joli mot : elle s’est sentie devenir une « bâtisseuse de merveilles ».
Voilà comment la Culture change les vies.
Elle doit aussi changer les regards.
Elle a un rôle fondamental à jouer dans la révolution des consciences qui doit s’engager, pour changer la perception du handicap et son acceptation, pour dire aussi la diversité et la complexité des situations qu’il abrite. Les médias ont, ici aussi, un rôle particulier à jouer, parce que l’on connaît le pouvoir des images, parce qu’ils irriguent aussi très largement notre société et touchent tous les publics - non seulement le public handicapé, qui doit pouvoir s’identifier et se retrouver dans les personnages des programmes audiovisuels, mais aussi le public au sens large, qui doit voir sur l’écran toute la diversité de la société.
Il faut améliorer la représentation du handicap dans les œuvres et dans les médias. C’est l’objet de vos diverses tables rondes aujourd’hui. Le constat du CSA est sans appel. Le handicap reste quasi absent des écrans : il concerne moins de 1% des personnes indexées (0,8%). Si sa représentation a presque doublé en 2016, ce n’est pas de façon structurelle mais circonstancielle : parce qu’il y a eu les Jeux paralympiques de Rio. Ce constat est alarmant. Il appelle à une forte mobilisation. La représentation du handicap - à la fois dans les personnages à l’écran et dans les sujets traités par les différents programmes - doit constituer un des objectifs de la politique publique audiovisuelle. Il y a des progrès observés, sur France 2 notamment, avec les séries Caïn et Vestiaires ou la présentation de la météo par Mélanie, jeune fille trisomique, en mars dernier. Les médias se doivent de représenter toute la société. Il y a encore des progrès à faire, notamment pour ne pas faire de la représentation du handicap la conséquence d’une obligation réglementaire, mais comme un élément naturel dans la conception des programmes.
Pour travailler sur l’ensemble de ces sujets, nous allons avancer en tandem avec Sophie Cluzel. Nous le ferons évidemment en lien très étroit avec les associations. Nous co-présiderons la Commission nationale Culture et Handicap. Je sais l’attachement des associations à cette instance, qui permet de poser les orientations et aussi d’acter les avancées. La dernière s’est réunie le 27 janvier 2016. Je propose donc que nous organisions une prochaine commission fin 2017 ou début 2018. Elle nous donnera l’occasion notamment de discuter les différentes priorités que je voudrais impulser : le développer de l’accès à la Culture pour la jeunesse en situation de handicap et la représentation dans les médias.
Voilà, chers amis, les quelques mots que je voulais vous adresser. Mon message est simple : c’est une révolution culturelle que nous devons mener, dans les deux sens, c’est-à-dire une révolution à l’intérieur de notre Culture et en même temps une révolution par la Culture. Vous pouvez compter sur mon engagement.
Je souhaite à tous des discussions actives et fructueuses aujourd’hui.
Je vous remercie de votre attention.