Monsieur le ministre, cher Jack Lang,

Messieurs les présidents-directeurs, cher Jean-Luc Martinez, cher Michel Laclotte, cher Pierre Rosenberg,

Cher JR,

Mesdames et messieurs,

Chers amis,

 

Qui aurait pu imaginer, alors que cette Pyramide n’était encore qu’une idée, une maquette, un projet, que nous serions ici, 30 ans après son inauguration, pour la célébrer, pour fêter ce geste d’une audace inouïe ?

Qu’ils nous semblent loin, aujourd’hui, tous les débats passionnés !

Qu’elle nous semble loin, cette polémique dont la France a le secret !

Je vous parle d'un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître...

Je n'ai pas oublié le déchaînement, les controverses, les cris d’orfraie.

Je sais que beaucoup parmi nous ne les ont pas oubliés non plus...

Certains nous promettaient un désastre, imaginaient une agression contre notre patrimoine, qui écornerait l’image de Paris et dénaturerait notre Histoire.

Ils ont reproché à la Pyramide d’ignorer le Palais ; ils ont reproché à son bâtisseur les matériaux qu’il choisissait ; ils lui ont même reproché de ne pas être Français.

Ils ont attaqué, vilipendé, fustigé, aussi bien l'auteur que son projet.

Il n’y a que notre pays qui soit capable de tels excès !

Il n'y a que la France pour s'écharper sur un tel sujet !

Il n'y a que les Français pour débattre d'art avec une telle ferveur !

Si l'on oublie l'hostilité qui s'est parfois manifestée... si l'on oublie la véhémence et la passion que nous, Français, mettons parfois pour exprimer notre goût de la contradiction... si l'on oublie tout cela...

Je crois que l'on peut être fiers.

Fiers d'être ce peuple qui se passionne pour la culture, au point de se déchirer pour elle ; au point d'être prêt à tout pour elle.

Nous pouvons être fiers, aussi, car,

Mes chers amis :

De ces craintes, de cet effroi, de ces excès…

Que reste-t-il aujourd'hui, sinon une admiration unanime ?

Face à l'audace, que reste-t-il des conservatismes ?

Face au besoin de changer, face à son évidence, que reste-t-il des réticences ?

Dans ce temple de verre, érigé dans la cour d’un palais de pierre, bâti par nos Rois il y a presque un millénaire...

Dans ce diamant aux mille facettes, où se réverbèrent l'eau et la lumière...

Dans cette fontaine de glaces, où se reflètent l’Histoire de notre pays et les cieux de Paris...

Ici, se cache, je crois, une réflexion sur le temps.

Yves Bonnefoy, déjà, l'avait décelé...                                                                                  

« Ce n'est pas une pyramide », disait-il, « c'est le sablier qu'on va renverser pour que commence, puis déjà s'écoule et bientôt cesse le temps de cette visite ».

Certes, tout ouvrage est indissociable du moment où il voit le jour. Mais à la vue de ce sablier, je songe que c’est le temps long qui donne sa valeur à la création.

En architecture, davantage encore.

Oui : c’est la durée qui donne aux édifices une âme, qui la leur rend ou la leur reprend, qui les exalte ou les déprécie.

Il n'y a que le temps pour prouver que le verre est vraiment transparent, et que le soleil qui s'y reflète est vraiment éclatant.

Il est des créations faites pour leur époque : leur gloire est immédiate, mais elle ne dure pas.

Il en est d'autres faites pour l'Histoire, sur lesquelles les siècles n'ont pas d'emprise. Des chefs d’œuvre, qui brillent chaque jour un peu plus que la veille.

Les trente années qui viennent de s'écouler nous ont montré que la Pyramide est de celles-là.

Elle est l’œuvre d'un grand maître, du nom de Ieoh Ming Pei.

Je veux lui rendre hommage ce soir, comme lui nous a rendus hommage, à travers cette merveille.

Il y a dans ce monument tout le respect de Pei pour le Palais du Louvre.

C’est par respect pour la pierre qu’il a choisi le verre.

Par respect pour les lignes, qu’il a choisi une pyramide.

Par respect pour notre Histoire, qu’il a choisi de la prolonger.

C’est dans les plans et les travaux d'André Le Nôtre, dans ses dessins et dans ses jardins, que Pei trouva l'inspiration.

C'est dans l'étude de son usage de l’eau et des reflets, qu'il eut l'idée de bassins et de fontaines.

C'est dans les triangles et les losanges de ses parterres, qu'il trouva les motifs pour ses panneaux de verre.

Un verre qui magnifie le Palais ! Qui nous invite à le regarder !

Car, à travers lui, c’est d’abord le Palais qui transparaît.

C’est une leçon.

Une leçon pour nous tous.

Parfois, c’est de la modestie, de la discrétion, de l’humilité que naît la grandeur.

Parfois, c’est en sachant s’effacer qu’on marque l’Histoire.

Stendhal écrivait que « le style doit être comme un vernis transparent : il ne doit pas altérer les couleurs, ou les faits et pensées sur lesquels il est placé ».

A le lire, on croirait presque qu’il parle de la Pyramide comme s’il l’avait vue de son vivant !

Plus certainement, il ne m’étonnerait pas que Pei ait lu Stendhal…

Car il passa des journées entières, dans le Louvre et ses bibliothèques. Pour lire, apprendre, étudier, s’immerger de l’Histoire de France et de celle du Palais.

Il parcourut la cour Napoléon, les couloirs, les galeries et le jardin des Tuileries.

Pour observer et contempler, errant à travers les méandres du musée et de notre passé.

Un passé auquel les Français sont viscéralement attachés – cela ne lui a pas échappé.

« Je rencontre des gens », disait Pei, « qui parlent de Louis XIV comme s’ils l’avaient vu la veille ! »

Son attention méticuleuse à notre Histoire n'en fut que renforcée.

Sa fidélité à l'esprit du Louvre n'en fut que décuplée.

Il y a un détail qui le rappelle à nos esprits…

En 1665, Le Bernin avait été chargé par Louis XIV de dessiner l’aile Est de la cour Carrée, et de réaliser, par la même occasion, un marbre le représentant à cheval.

Il fut modifié par Girardon, puis installé à Versailles.

Pei en commanda un moulage pour l’exposer à côté de la Pyramide.

Mais l’emplacement qu’il lui a choisi ne doit rien au hasard.

Il l’a placé précisément, exactement, minutieusement dans l’axe qui relie le Louvre à l’Obélisque de la Concorde, l’Obélisque de la Concorde à l’Arc de Triomphe, et l’Arc de Triomphe à la Grande Arche.

Ce faisant, il prolonge cet axe royal et historique.

Il prolonge cette ligne « comme une trace que l’Histoire aurait laissée dans le temps et dans l’espace, cette ligne qui relie Le Nôtre à Pei, et Le Louvre à sa propre histoire. »

La Pyramide, c’est se souvenir de notre Histoire pour aller vers l’avenir.

Dans ce temple de verre, édifié au cœur d'un palais de pierre, il y a un rappel salutaire.

Le rappel que la modernité, ce n’est pas faire table rase du passé.

Nous aimons dans ce pays la contradiction, au point de vouloir en trouver partout.

Mais le présent, pour exister, n'a pas besoin de s'opposer à tout ce qui l'a précédé.

La rupture n'est pas toujours indispensable.

Les époques peuvent ensemble dialoguer ; trouver une harmonie, une cohérence qui les relie.

C'est le cas ici.

Oui : l’architecture d’aujourd’hui peut se construire à partir de celle d’hier.

Un musée de demain peut s'installer au cœur d'un Palais ancien.

Car notre patrimoine n’est pas fini, ou figé pour l’éternité.

C'est un patrimoine vivant. Qui se régénère et se transforme. Qui sait se renouveler.

Cher Jack Lang, vous me pardonnerez, je l’espère, de vous citer...

« A Rome, le Capitole surplombe le forum antique romain. A Venise, le campanile de la Place Saint-Marc a trois siècles de moins que la basilique voisine. A Paris même, la Tour Eiffel s’inscrit dans la perspective de l’Ecole Militaire, construite un siècle et demi plus tôt. »

Oui : notre patrimoine est fait de ces ajouts, de ces juxtapositions.

Il n’est pas seulement ce que nous recevons, mais aussi ce que nous laissons.

Ce n’est pas seulement ce qui était là avant nous ; c’est aussi ce qui restera après nous.

Ce n’est pas seulement notre lien à hier ; c’est aussi ce qui nous relie à demain.

Ce n’est pas seulement la conservation ; c’est aussi l’innovation, la création.

En ces lieux, il y a 30 ans, des femmes et des hommes ont montré qu'il était possible qu'une œuvre nouvelle côtoie l’ancien.

Je tiens ici à les remercier.

Remercier tous les pionniers, les audacieux, sans qui le Grand Louvre n’aurait sans doute jamais eu lieu.

J’ai une pensée pour le Président de la République François Mitterrand. C’est sa passion pour l’art et la culture, et tout particulièrement pour l’œuvre de Pei, qui a permis de magnifier ce Palais.

Je veux vous remercier, cher Jack Lang, vous qui avez mené, contre vents et marées, la bataille, avec une détermination sans faille.

Et qui avez trouvé un allié inattendu en la personne de Jacques Chirac, intervenu contre l’avis de ses proches pour soutenir la Pyramide.

Je pense à lui ce soir.

Je tiens également à saluer la mémoire d’Emile Biasini, administrateur du projet, qui a tant fait pour le Louvre et pour la France, à la tête des Grands Travaux présidentiels qui lui furent confiés par François Mitterrand.

Saluer à nouveau, et avec un infini respect, le visionnaire Ieoh Ming Pei. Il n’a pu être là ce soir mais son fils nous fait l’honneur d’être parmi nous : soyez-en remercié, cher Chien Chung Pei.

Son œuvre n’aurait pas eu le même éclat sans l’implication des architectes Michel Macary et Jean-Michel Wilmotte. C’est ensemble qu’ils ont œuvré au Grand Louvre.

Je veux enfin rendre honneur aux présidents de ce musée, qui ont permis de le hisser à son rang de musée mondial ; de « musée des musées ».

Michel Laclotte, qui a su rassembler les départements du Louvre autour d’une direction unique.

Pierre Rosenberg, qui a porté et accompagné minutieusement le projet du Grand Louvre.

Henri Loyrette, qui a étendu la toile du Louvre en France, avec le Louvre-Lens ; et qui a étendu la toile du Louvre ailleurs, avec le Louvre Abu Dhabi.

Jean-Luc Martinez, qui a brillamment dépassé le seuil des 10 millions de visiteurs en 2018. Et nous n’allons pas nous arrêter là !

Et enfin, je veux saluer toutes les équipes du Louvre qui ont été au service de ce projet, au fil des années : les directeurs, les administrateurs, les conservateurs, les chargés d’exposition, les médiateurs, les métiers d’art, les programmateurs, les documentalistes, les éditeurs, les régisseurs, les agents d’accueil et de surveillance, les équipes administratives et tous les agents du Louvre.

Tous ensemble, vous avez prouvé à tous les cyniques – à tous ceux qui auraient préféré le mutisme de notre époque, l'immobilisme de nos dirigeants, ou leurs atermoiements – vous leur avez prouvé qu'il était possible de faire autrement.

Qu'il était possible de faire éclore un nouveau Louvre qui respecte l’ancien.

Qu'il était possible de construire, sans détruire.

De parfaire, sans défaire.

De réinventer, sans dénaturer.

Ensemble, vous avez fait entrer le Louvre dans la modernité.

Ce n’est pas seulement Paris, mais le visage de la France qui en fut changé.

Après le Grand Louvre, une dynamique a été lancée : de rénovations, d’extensions, de créations de musées, dans la France tout entière.

Le musée des Beaux-Arts de Caen ; le musée des Beaux-Arts d’Angers ; le musée de la dentelle de Calais ; le musée Fabre de Montpellier ; le Centre-Pompidou Metz ; le musée Soulages, à Rodez ; le musée des Confluences, à Lyon ; le Musée d’art de Nantes ; le musée de la Romanité, à Nîmes ; le musée du quai Branly-Jacques Chirac ; le musée de Cluny ; le musée des Beaux-Arts de Besançon ; celui de Dijon, qui ouvrira prochainement ; et j’en oublie tant et tant d’autres qui ont suivi cet élan.

C’est cette Pyramide qui les a inspirés. Qui les a guidés.

Cette Pyramide, qui est notre boussole, notre repère.

Elle est pareille à un phare dans l’obscurité.

Elle est un phare contre l’Obscurantisme.

Elle a fait du Louvre le plus grand, le plus beau musée du monde.

Ce phare a offert aux œuvres un nouvel écrin, au public un nouvel accueil, au Palais une nouvelle vie.

Dans la lumière qu’il émet, c’est la vocation historique de la France qui se voit réaffirmée.

Une vocation universelle.

Celle d’accueillir sur notre sol les femmes et les hommes de ce monde, et de leur faire partager une certaine idée de la Beauté.

Car la Pyramide a transformé le Louvre, pour mettre le visiteur en son centre.            

Par l’architecture, on peut changer les mouvements des femmes et des hommes, leur circulation.

On peut changer un mouvement, et ce mouvement peut changer le monde.

Alors, les deux ailes du Palais ont été unifiées : en une seule entrée, un seul accès, pour un seul musée – plutôt que sept autrefois.

Un seul « musée des musées ».

Le seul signe extérieur de ce changement, la seule partie immergée de cette architecture ensevelie, c’est la Pyramide.

Elle porte la responsabilité de dire : « Voici le Louvre ».

Elle est une porte ouverte dans ce Palais qui fut une forteresse.

Une porte ouverte aux visiteurs du monde entier…

Ici, en France, cette porte s’est ouverte jusqu’à Lens.

Elle s’est ouverte, aussi, grâce à l’itinérance, aux partenariats avec d’autres musées, aux prêts d’œuvres, aux actions hors-les-murs.

Cette porte s’est ouverte sur le monde, jusqu’à Abou Dabi.

Ce « Louvre du désert et de la lumière », comme l’appelle le Président de la République, est l’emblème d’une culture ouverte sur le monde, ouverte au Beau d’ici comme d’ailleurs.

Un musée universel, par ses collections, son architecture, son emplacement, au croisement des routes et des civilisations.

La vocation universelle de la France, c’est aussi celle d’accueillir sur notre sol le génie du monde entier ; de faire dialoguer ensemble les cultures.

Car la culture en France ne connaît pas de frontières.

Notre pays est une terre d’accueil et de création. D’accueil des créateurs.

De Léonard De Vinci à Beyoncé et Jay-Z, notre culture est faite de ces artistes venus d’ailleurs, qui ont choisi la France, qui ont aimé la France, au point d'y venir pour l’enrichir et pour y créer.

Dans cette Pyramide qui est un phare, les artistes ont souvent trouvé la lumière.

Longtemps, ils y navigueront.

Hier, c’était les projections de Jenny Holzer, le trône de Kohei Nawa, les installations de Claude Lévêque et celles de Wim Delvoye.

Aujourd’hui, c’est JR qui nous fait cet honneur.

Demain, à l’occasion de ce trentième anniversaire, ce seront l’immense Pierre Soulages, le chorégraphe Kader Attou, le chef de l’Orchestre de Paris Daniel Harding, la violoniste virtuose Janine Jansen, les sculptures d’Elias Crespin et vous, cher Jean-Michel Othoniel.

 

Mesdames et messieurs,

Chers amis,

Je citais Stendhal pour louer la transparence parfaite de ce joyau, qui reflète le ciel et se reflète dans ses bassins.

C’est un autre de nos grands écrivains qui résume le mieux ce que m’évoque la Pyramide. C’est Paul Valéry. Dans « Eupalinos ou l’Architecte » – qui est peut-être la plus belle lettre d’amour à l’architecture jamais écrite –, il tient ces quelques mots... :

« L’architecture […] est au milieu de ce monde, comme les monuments d’un autre monde ; ou bien comme les exemples, çà et là disséminés, d’une structure et d’une durée qui ne sont pas celles des êtres, mais celles des formes et des lois. Elle semble vouée à nous rappeler directement l’ordre et la stabilité de l’univers. »

Voilà ce que nous inspire cette merveille de verre et de lumière.

Sa beauté est telle qu’on la croirait venue d’un autre monde.

Mais non.

C’est bien du nôtre qu’elle provient.

C’est de l’âme d’artistes de génie; de la détermination de décideurs infatigables ; de la volonté et de l’ambition de femmes et d’hommes qui pensent résolument que demain peut être meilleur qu’hier.

Ce Louvre est bien de notre monde.

Et c’est chaque jour, depuis trente ans, un enchantement.

Vive le Louvre, vive la culture, et vive la France.