Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, cher Bruno STUDER,
Monsieur le rapporteur, cher Pascal BOIS,
Mesdames et Messieurs les Députés,
C’est un immense plaisir pour moi d’être ici, aujourd’hui, pour l’examen de cette proposition de loi visant à la création du Centre national de la musique. C’est un projet auquel je suis très attaché : il y a près de 9 ans, j’avais participé au premier rapport sur le sujet, aux côtés d’Alain CHAMFORT, Daniel COLLING, Marc THONON et Didier SELLES.
Malheureusement, nos préconisations n’avaient pas été suivies, et les choix politiques du début du précédent quinquennat avaient conduit à mettre ce projet en sommeil. Mais aujourd’hui, nous y voilà.
L’adoption de cette loi permettra – enfin – au Centre national de la musique de voir le jour, dès le 1er janvier prochain. C’est un délai ambitieux. Pour le tenir, nous pouvons collectivement nous appuyer sur les travaux approfondis, conduits par Roch-Olivier MAISTRE, d’abord, dont le rapport « Rassembler la musique, pour un centre national », a été largement salué par les professionnels du secteur musical ; et par les députés Emilie CARIOU et Pascal BOIS, que je salue et remercie. Au terme d’une large concertation avec tous les acteurs, leur rapport de préfiguration a été remis en janvier au Premier ministre, qui a affirmé son souhait de voir ce centre créé au 1er janvier 2020.
Ces travaux convergent très largement : ils ont confirmé la nécessité de créer une « maison commune » pour la musique.
La musique, c’est la première pratique culturelle des Français. C’est l’art démocratique par excellence ; un art qui permet, davantage encore que les autres, de faire tomber les barrières culturelles et sociales. Parce que la musique a ceci d’universel qu’elle parle à chacun d’entre nous. Parce qu’il n’y a besoin d’aucun pré-requis pour être ému par une mélodie. Parce qu’il n’y a pas besoin de connaître l’histoire de la musique classique pour vibrer au son du violon de Renaud CAPUÇON. Parce qu’il n’y a pas besoin de comprendre les paroles d’Aya NAKAMURA pour pouvoir les chanter.
La musique, c’est aussi un puissant levier de liberté. Y compris dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ou les zones rurales isolées. De NTM hier jusqu’à PNL aujourd’hui, combien d’artistes sont issus de ces quartiers dont on leur disait qu’ils ne pourraient jamais en sortir ? De MADEON à KUNGS, combien de DJ ont été révélés au grand jour en postant, depuis leur chambre, des remix sur Soundcloud ou Youtube ?
La musique, c’est enfin l’une des principales industries culturelles du pays, par son dynamisme économique et son rayonnement international. Un rayonnement dont témoignait, il y a quelques semaines, la présence de DJ SNAKE, CHRIS ou encore Charlotte GAINSBOURG, sur les scènes du prestigieux festival Coachella.
En l’espace de quelques années, cette industrie s’est profondément transformée – cela ne vous a pas échappé. Par l’essor du numérique, par la révolution des modes d’écoute.
Au cours des quinze dernières années, l’industrie phonographique a connu une crise majeure, notamment du fait du piratage de masse, avec une baisse de son chiffre d’affaires de l’ordre de 60% entre 2002 et 2015.
Aujourd’hui, l’industrie semble avoir surmonté la crise qu’elle a eu à traverser. Depuis 2016, elle renoue avec la croissance, principalement grâce à l’essor de la « diffusion en flux » – le ministre en charge de la francophonie ne saurait utiliser, surtout dans cet hémicycle, un autre terme.
Toutefois, il convient de rester très prudents. La filière demeure fragile, à plusieurs égards : La diffusion en flux peut être porteuse de menaces pour la diversité musicale, avec un risque de concentration des écoutes sur quelques artistes et genres musicaux les plus populaires ; un risque renforcé par les algorithmes de recommandation des plateformes.
Plus largement, la position dominante de quelques grandes plateformes peut fragiliser l’écosystème musical. L’essor de ces nouveaux modes de diffusion efface les frontières et accroit la concurrence internationale. C’est une formidable opportunité pour la diffusion des artistes français à l’étranger ; mais c’est potentiellement aussi une menace pour la place de la création musicale française et francophone dans notre pays.
Le spectacle vivant musical a connu un dynamisme remarquable au cours des dernières années, malgré les attentats infâmes qu’il a eu à subir, de Paris à Manchester. Là encore, la musique a fait la preuve de son pouvoir de rassemblement et de communion.
Cependant, c’est un secteur qui est, lui aussi, exposé à un risque de concentration excessive. Il a connu l’an dernier un ralentissement de son activité, dont tout le monde espère qu’il soit purement conjoncturel.
Par ailleurs, la distinction entre spectacle vivant et musique enregistrée apparaît de moins en moins opérante.
Les acteurs conçoivent désormais leur développement artistique et économique de manière de plus en plus intégrée, dans des stratégies dites, de façon imagée, « à 360° », qui mettent le créateur, qu’il soit auteur ou artiste interprète, au centre du projet.
Ces bouleversements profonds ont fait voler en éclat les vieux clivages.
Il est temps d’en tirer les conséquences. Il est temps de rationaliser, d’adapter, et de renforcer nos outils de soutien, d’accompagnement, et d’observation de la filière musicale. Il est temps de les rassembler au sein d’une maison commune.
C’est tout l’objet du Centre national de la musique.
Il devra être au service de l’ensemble de la filière musicale, de toutes les esthétiques. Il sera tout entier tourné vers les créateurs. Les soutiens économiques qu’il mettra en œuvre seront conçus de manière à promouvoir la diversité culturelle et favoriser l’innovation. Il placera les dimensions territoriales et internationales au cœur de son action. Il viendra compléter et amplifier l'action que mènent au quotidien dans le domaine musical les directions régionales des affaires culturelles de mon ministère, en lien étroit avec les collectivités territoriales. Il aura, en outre, une mission essentielle d’observation, de veille et de prospective. Les études qui seront conduites à ce titre permettront à la fois : d’évaluer l’efficacité des dispositifs de soutien – je pense notamment aux crédits d’impôt, dont le Parlement a souhaité, lors de la discussion budgétaire, qu’ils soient mieux suivis et d’éclairer les enjeux de partage de la valeur, d’accompagnement de la transition numérique, et de promotion de la diversité musicale face aux phénomènes de concentration.
Ces études pourront ainsi nourrir les réflexions sur l’amélioration de nos mécanismes de régulation, qui resteront du ressort de l’administration centrale. Afin de préparer les conditions de la mise en place du Centre national de la musique, j’ai installé à la fin du mois de mars un comité opérationnel.
J’en ai confié la présidence à l’inspectrice générale des affaires culturelles Catherine RUGGERI. Par sa longue expérience dans le domaine culturel et musical, par sa connaissance de l’administration, et par sa capacité à prendre en compte les positions de tous les acteurs, elle m’a semblé être la personne la plus à même de conduire cette mission délicate.
Le comité qu’elle préside, et qui se réunit toutes les semaines depuis maintenant plus d’un mois, est composé des directeurs des structures appelées à être fédérées au sein du CNM et des services compétents du ministère de la culture.
En s’appuyant sur la présente proposition de loi, ce comité a pour mission de mener tous les chantiers juridiques, budgétaires, administratifs, immobiliers, informatiques et sociaux devant aboutir à la création du CNM au début de l’année 2020.
J’insiste particulièrement sur la dimension humaine du projet. Je tiens à ce qu’une attention particulière soit portée aux salariés des différents organismes appelés à intégrer le CNM ainsi qu’aux conditions de leur transfert.
J’ai souhaité également, toujours dans une logique de concertation et d’adhésion, que les acteurs et les professionnels du secteur soient pleinement associés à ces réflexions.
C’est ainsi qu’un comité de préfiguration, intégrant l’ensemble des représentants de la filière, a été créé pour échanger régulièrement avec Catherine RUGGERI et le comité opérationnel. Il s’est réuni pour la première fois vendredi dernier, et je sais que les échanges ont été fructueux, notamment sur le texte dont nous débattons aujourd’hui. Il se réunira régulièrement jusqu’à la fin de l’année, afin de poursuivre la réflexion commune.
Le projet de Centre national de la musique me tient à cœur depuis longtemps – vous le savez. Vous pouvez compter sur moi pour mettre toute mon énergie et toute ma volonté au service de sa concrétisation.
Cher Pascal BOIS : je suis à vos côtés pour défendre la diversité de la création musicale ; cette diversité qui nous est si chère ! Ce projet, c’est un nouvel élan pour la filière musicale. Cette proposition de loi, ce sont des garanties nouvelles pour ses acteurs. C’est un texte cohérent et équilibré. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement apporte pleinement son soutien à cette initiative parlementaire.
Et je souhaite sincèrement en remercier ses auteurs, le rapporteur Pascal BOIS, et plus généralement les membres de la commission des affaires culturelles avec qui mon ministère a pu mener un travail fécond – et dont je salue le président, cher Bruno STUDER. J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt vos débats en Commission.
Et je me réjouis des points d’accord que vos travaux ont permis d’atteindre. En particulier, je tiens à saluer plusieurs évolutions adoptées en commission, et que le Gouvernement soutient.
Vous avez enrichi la définition des missions dévolues au futur CNM. Et ces enrichissements sont précieux. Je pense à l’ajout explicite de la création musicale, qui est pleinement conforme à la volonté du Gouvernement de placer les artistes au cœur des missions du CNM. Je pense également à la mission de valorisation du patrimoine musical.
Il s’agit là d’un aspect important de la politique culturelle en faveur de la musique, en lien avec les missions de rayonnement et de transmission.
Le Centre national de la musique devra bien entendu veiller à articuler son action dans ce domaine avec celle de la BnF, qui reste détentrice de la mission de conservation du patrimoine musical, ou celle de la Cité de la Musique-Philharmonie de Paris, dont le Musée organise de remarquables expositions, comme en ce moment, avec l’Expo Electro.
Mesdames et Messieurs les députés,
Je voudrais maintenant évoquer les amendements que je souhaite vous soumettre au nom du Gouvernement. Certains reprennent d’ailleurs des modifications qui, pour cause d’irrecevabilité au titre de l’article 40 de la Constitution, n’ont pu être adoptées en commission, et je sais qu’ils rencontreront l’adhésion de nombre d’entre vous.
Afin de continuer à enrichir les missions du CNM, nous souhaitons lui confier des compétences en matière d’éducation artistique et culturelle.
Ces compétences devront être exercées en coordination et en complémentarité avec les acteurs existants, en particulier les directions régionales des affaires culturelles et les collectivités territoriales.
Nous souhaitons également introduire dans la loi la possibilité pour les organismes de gestion collective de verser au CNM une partie des sommes qu’ils sont tenues d’affecter à leur action culturelle et éducative.
Il est d’une part nécessaire de permettre au CNM de recevoir les financements privés aujourd’hui alloués aux structures associatives qu’il rassemblera.
Au-delà de la préservation de l’existant, c’est un moyen d’encourager la mutualisation et la rationalisation des soutiens à la musique, dans une logique de partenariat public – privé, dès lors que les acteurs concernés en décident ainsi.
Enfin, nous voulons ouvrir la possibilité à deux autres organismes de rejoindre le CNM – si et seulement si, bien entendu, leurs conseils d’administration en décident ainsi, dans le plein respect de la liberté d’association.
Le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), le Fonds pour la création musicale (FCM) et le Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles (IRMA) figuraient déjà dans la proposition initiale.
Outre ces trois organismes, nous proposons d’ajouter le Bureau export de la musique (BurEx) et le Club action des labels et des disquaires indépendants français (CALIF).
L’intégration du Bureau Export est cohérente avec les missions du CNM, puisqu’il devra assurer le soutien à l’export et le rayonnement de notre création musicale.
Cette intégration avait été envisagée dans les deux rapports dont j’ai parlé, mais les choses n’étaient alors pas suffisamment mûres.
Depuis, les discussions avec le BurEx et avec les organisations professionnelles qui le financent ont permis de constater l’existence d’une volonté partagée d’intégration. J’y vois le signe de la dynamique positive et vertueuse qui s’est enclenchée autour du projet de CNM, en particulier depuis le dépôt de la proposition de loi dont nous débattons.
Le CALIF, association de soutien aux disquaires indépendants, a lui aussi confirmé son souhait de rejoindre la maison commune. Son intégration est cohérente avec la vision à 360 degrés qui anime le projet : si le CNM doit soutenir l’innovation et accompagner la transition numérique du secteur, il ne doit pas pour autant délaisser la distribution physique, qui représente encore près de la moitié des ventes. Surtout, l’intégration du CALIF renforcera l’ancrage territorial du CNM, dont je veux faire un axe essentiel du projet. Elle marquera notre attachement à la préservation et au développement des commerces culturels.
Ils jouent un rôle essentiel dans l’animation et la cohésion des territoires. Nous aurons l’occasion de revenir au cours de notre discussion sur les autres amendements que je vous propose, et sur lesquels je ne m’attarde pas.
Naturellement, et vos débats en commission s’en sont fait l’écho, le texte dont nous discutons aujourd’hui n’a pas vocation à fixer dans le détail l’ensemble des règles de fonctionnement du futur CNM. J’ai entendu, en particulier, l’intérêt que vous portez – à juste titre – aux questions de gouvernance et de financement.
La gouvernance du CNM, établissement public, devra être resserrée et assurer, conformément aux préconisations de la mission parlementaire, une place majoritaire à l’Etat.
L’association des représentants du secteur sera par ailleurs garantie, par la création d’un comité professionnel, prévue par un amendement adopté en commission – que je tiens à saluer.
Le financement devra, quant à lui, reposer à la fois sur la mutualisation des ressources budgétaires, fiscales et privées existantes et sur des ressources complémentaires permettant au CNM d’exercer pleinement les missions que la loi lui assigne.
L’effort devra être partagé par l’Etat, sous une forme à déterminer (crédits budgétaires ou affectation de taxes), et par les professionnels, à travers les contributions volontaires des organismes de gestion collective, dont j’ai déjà parlé.
Ces deux sujets sont au cœur des travaux conduits par le comité opérationnel piloté par Catherine RUGGIERI.
Ces travaux déboucheront sur des préconisations précises en vue, d’une part, de la rédaction du décret statutaire et, d’autre part, du projet de loi de finances pour 2020.
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, ce que sont, à mes yeux, les grandes lignes de cette loi, et de ce projet :
Une belle loi, cher Pascal BOIS, que vous proposez d'adopter, avec le plein soutien de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée Nationale et du Gouvernement,
Et un beau projet, auquel elle doit permettre de donner corps.
Je vous remercie.