Madame la sénatrice, chère Corinne Bouchoux
Madame la députée, chère Isabelle Attard
Mesdames et messieurs les parlementaires et les élus,
Monsieur le Président de la Commission d’indemnisation des victimes de spoliations,
Cher Michel Jeannoutot,
Mesdames e messieurs les représentants de la Fondation pour la mémoire de la Shoa,
Mesdames et messieurs les représentants de la Direction générale des patrimoines, Cher Vincent Berjot, Chère Marie-Christine Labourdette,
Mesdames et messieurs les ayants droit des familles spoliées et mesdames et messieurs les avocats,
Il y a presque un an, jour pour jour, je procédais ici même à la restitution de sept œuvres spoliées par les Nazis à leurs légitimes propriétaires. Je suis heureuse et émue de pouvoir, une fois encore, faire ce geste de réparation et de justice en remettant solennellement trois tableaux aux ayants droit des familles auxquelles ils furent volés.
Ces restitutions sont très importantes : elles sont, pour les familles, une véritable reconnaissance des atrocités subies pendant la seconde guerre mondiale. Elles n’effacent pas la douleur et son souvenir qui court de génération en génération, mais elles témoignent d’un indispensable travail de mémoire, soixante-dix ans après les horreurs de la barbarie nazie.
L’un de mes engagements, en tant que Ministre, est la transmission des savoirs et de la mémoire, y compris dans ses dimensions les plus tragiques. En remettant aujourd’hui trois œuvres spoliées, j’ai conscience de la vertu pédagogique de cet acte. Je veux qu’il soit l’occasion de ne pas oublier ce que fut cette page de notre histoire et qu’il manifeste la détermination de l’Etat à restituer des œuvres, dont il n’est que le gardien provisoire.
On pourrait penser qu’il n’est plus possible de progresser dans le domaine des restitutions. Les dix œuvres restituées en un an prouvent le contraire. Les restitutions continuent d’être possibles et le devoir de mémoire est toujours d’actualité.
Avant de revenir sur les conditions dans lesquelles les trois tableaux ont été spoliés, je veux redire mon implication et celles de mes équipes dans le traitement des œuvres de la « récupération artistique », les fameux « MNR ».
Il y a un an, j’avais annoncé ma ferme volonté d’initier une nouvelle démarche, plus « pro-active », dont la traduction concrète a été la mise en place d’un groupe de travail spécifique chargé de mener des recherches sur un ensemble particulier de 145 « MNR » spoliés avec certitude.
En effet, je ne me résous pas à laisser de côté la recherche sur des œuvres susceptibles de livrer le nom de leur propriétaire spolié. Depuis les années 1990, les outils de recherche se sont considérablement développés et j’ai considéré que tout devait être mis en œuvre pour avancer sur l’historique des œuvres dont la spoliation était attestée.
Identifier les propriétaires au moment de la spoliation de leurs biens devenus MNR, alors qu'il n'avait pas été possible de le faire dans l’immédiat après-guerre, n’est qu’une première étape, certes décisive, pour renouer les fils du temps et espérer retrouver aujourd'hui, leurs ayants-droit.
Dans cette perspective, je vais solliciter la Chancellerie pour préciser les moyens juridiques, grâce auxquels il serait possible, à partir de cette identification du propriétaire spolié, de poursuivre la démarche jusqu’à son terme et de diligenter les nécessaires recherches généalogiques et successorales pour parvenir à réaliser cet objectif de restitution qui me paraît essentiel et donne tout son sens à l’implication de mon département ministériel dans ce dossier.
Le groupe de travail sur les 145 MNR associe le Service des musées de France de la direction générale des patrimoines, le service des archives du ministère des affaires étrangères, la Commission d’indemnisation des victimes de spoliation (CIVS) et la Fondation pour la mémoire de la Shoah et se réunit tous les mois.
Il travaille avec un dynamisme et un sérieux que je tiens à saluer ; en moins d'un an, il a d’ores et déjà permis de dégager des pistes pour l'identification des propriétaires de 28 œuvres MNR. Il s’agit, certes, de résultats provisoires qui restent à confirmer, mais ces pistes sont extrêmement prometteuses. Vous trouverez dans le dossier de presse la liste de ces 145 MNR et j’espère que la communauté internationale des chercheurs pourra se mobiliser pour aider le groupe dans sa mission.
Le groupe me remettra le résultat de ses travaux en juin de cette année. Le bilan d’étape, qu’il a établi au début de cette année, me conforte pleinement sur la pertinence de la démarche, que j’ai souhaité initier, mais je ne sous-estime pas les difficultés qu’il pointe concernant l’avancée des travaux : temps nécessaire au dépouillement de fonds d’archives, plus nombreux à être numérisés qu’auparavant mais souvent non indexés, œuvres provenant de pillages opérés par la « Möbel Aktion », qui vidait les appartements des juifs de France, sans tenir de registre, ce qui laisse, de ce fait, très peu de chances de connaître leur origine…
Les travaux du groupe viennent compléter l’instruction normale des demandes de restitution, celles qu'introduisent les ayants droit des propriétaires, auprès de la Commission d’indemnisation des victimes de spoliation ou directement auprès de mes services. Les trois œuvres que je suis heureuse de rendre aujourd’hui témoignent de modes de spoliation tous différents.
Il s’agit tout d’abord d’un portrait de femme, œuvre anonyme du XVIIIe siècle jadis attribuée à Louis Tocqué.
Ce tableau faisait partie du fonds d’une galerie d’art berlinoise, appartenant à Jakob Oppenheimer et sa femme Rosa Oppenheimer-Silberstein, un couple de marchands qui fut très tôt victime de la politique nazie à l’encontre des Juifs.
Dès avril 1933, les nazis tentèrent de les arrêter, mais Jakob et Rosa Oppenheimer parvinrent à s’échapper en France où ils continuèrent à diriger la galerie à distance. En 1935, leurs biens, qui avaient été confisqués, furent mis aux enchères dans une vente forcée. C’est grâce à sa reproduction dans le catalogue de vente que ce portrait a pu être récemment identifié et le lien avec la famille Oppenheimer reconstitué. Mort en France en 1941, Jakob laissa derrière lui sa femme, déportée à Auschwitz où elle mourut en 1943.
Je suis heureuse de rendre cette œuvre à Mme Anne Oppenheimer, petite-fille de Rosa et Jakob Oppenheimer, accompagnée par l'avocat de la famille.
J’en viens maintenant au paysage du peintre flamand Joos de Momper, qui vécut à la fin du XVIème siècle et au début du XVIIème.
Ce paysage montagneux appartenait au baron Jean Germain Léon Cassel van Doorn (1882-1952), à la famille duquel 2 MNR ont déjà été restitués en 2003. Issu d’une grande famille de banquiers belges, le baron Cassel était un important collectionneur d’art. Après l’occupation allemande de la Belgique en 1940, il parvint à fuir aux Etats-Unis. Sa collection resta dans ses deux manoirs du sud de la France où les nazis la confisquèrent en décembre 1943, avec l'appui du régime de Vichy, et la transportèrent à Munich où étaient entreposées également toutes les œuvres destinées au musée voulu par Hitler à Linz.
Au printemps 1944, pour protéger les œuvres des bombardements alliés, elles furent envoyées dans les mines de sel d’Altaussee en Autriche. Les collections du baron Cassel étaient si importantes qu’elles furent transportées par un convoi ferroviaire spécial, nommé « Berta », constitué de 18 wagons. Ce paysage semble avoir été destiné à Hitler lui-même.
Au sortir de la guerre, la veuve du baron Cassel offrit des œuvres de sa collection retrouvée aux musées français dans un geste de générosité tout à fait remarquable. Elle fit notamment don au Musée du Louvre en 1966 d’une belle écritoire en argent doré aux armes du Cardinal da Cunha.
Je suis heureuse de rendre cette œuvre à Mme Jacqueline Domeyko, petite-fille du baron Cassel.
La troisième et dernière œuvre est une huile sur bois représentant la Vierge à l’Enfant, copie d'après un tableau de Lippo Memmi, peintre siennois du XIVe siècle.
Il a été confisqué en juin 1944 à Cannes, dans la résidence française de la veuve d’un banquier roumain juif, Richard Soepkez (1873-1939), par un commando spécial de l’ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg), le service chargé des spoliations nazies. Rapatriée au Central Collecting Point de Munich tenu par les fameux « Monuments men », l’œuvre fut renvoyée en France en 1947. Je suis heureuse de rendre cette œuvre à Monsieur Ion Florescu, arrière-petit fils de Richard Soepkez.
Trois œuvres, trois spoliations, trois histoires dramatiques, qui ont toutes en commun l’insatiable appétit des nazis et le mépris des droits les plus élémentaires de la personne humaine.
Qu’il me soit permis de rendre hommage à tous ceux qui, par leur obstination, par leur travail, par leur foi en la justice, ont permis que cette restitution prenne forme aujourd’hui. Et qu’il me soit permis de réaffirmer la volonté du ministère de la Culture et de la Communication de traiter avec sérieux et diligence les demandes de restitution d’œuvres d’art spoliées.
Il me reste à vous remercier et à laisser la parole aux ayants droit ou à leurs représentants, qui ont souhaité s’exprimer en cette occasion et que je tiens à saluer :
- Maîtres Eva Sterzing et Thierry Tonnelier, pour la famille Oppenheimer ;
- Mme Jacqueline Domeyko, petite fille du Baron Cassel
- et Monsieur Ion Florescu, arrière-petit fils de Richard Soepkez.
Je vous remercie.
Paris, le 11 mars 2014