Madame la présidente,

Monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, Mesdames et messieurs les députés,

Nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen en deuxième lecture en séance publique du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Après une première lecture à l’Assemblée et son examen par le Sénat, nous sommes tous pleinement conscients de ses enjeux.

Cette loi, au-delà des amendements et des dispositions dont nous allons discuter, affirme la spécificité de la culture et ce pourquoi elle requiert la protection du législateur. Le théâtre, le livre, le cinéma, le patrimoine, l’archéologie, l’architecture ou la chanson, toutes ces expressions du génie humain doivent être soustraites aux seules lois du marché ou du laissez-faire. Ce ne sont pas des commodités ni des marchandises.

Parce qu’il nous faut protéger leur diversité, rééquilibrer des rapports de force défavorables, garantir à la création des moyens d’existence, proposer une vision à long terme et prendre en compte la profondeur historique et la diversité de notre territoire, les arts viennent chercher la force de la loi.

Malraux a dit une chose très simple sur l’art : « C’est la seule chose qui résiste à la mort. » Gilles Deleuze a repris cette idée lors d’une conférence, où il disait ainsi : « Réfléchissez… Alors oui, qu’est-ce qui résiste à la mort ? Sans doute, il suffit de voir une statuette de trois mille ans avant notre ère pour trouver que la réponse de Malraux est une plutôt bonne réponse. Alors on pourrait dire […] : l’art, c’est ce qui résiste. D’où le rapport si étroit entre l’acte de résistance et l’art, et l’œuvre d’art », avant de conclure : « Tout acte de résistance n’est pas une œuvre d’art bien que, d’une certaine manière, elle en soit. Toute œuvre d’art n’est pas un acte de résistance, et pourtant, d’une certaine manière, elle l’est. »

Si cette définition de l’acte de création nous concerne aujourd’hui, c’est parce que nous sommes entrés dans une société où l’on constate qu’il est plus difficile de dialoguer, où la création, par nature transgressive, est parfois moins bien accueillie et où il est plus difficile d’être ensemble. Elle est pourtant l’un des derniers espaces où vivre cette relation à l’autre, l’un des derniers espaces légitimes et capable de faire vivre ces liens.

Mesdames, messieurs les députés, je voudrais rappeler rapidement les principes de cette loi et son contexte.

Premier principe : protéger la liberté de création, de diffusion et de programmation. Pour autant, cette liberté n’est pas absolue et elle doit être conciliée avec d’autres principes fondamentaux, notamment le refus de l’incitation à la haine. Mais l’artiste, par nature, dérange, parce qu’il voit ce que l’on écarte et qu’il exprime ce qui est refoulé. Voilà pourquoi il faut protéger la liberté de création et de programmation. La défense de cette liberté va de pair avec la réaffirmation d’une politique de service public ambitieuse, notamment à travers des réseaux de structures labellisées par l’État, portées conjointement par celui-ci et les collectivités territoriales.

Second principe : promouvoir la transparence et la concertation dans les industries culturelles. La loi définit pour les industries culturelles les conditions de nouveaux équilibres, rendus nécessaires par de nouveaux usages et de nouveaux modèles économiques, en privilégiant la concertation, celle entre les organisations représentatives des éditeurs et des auteurs pour le livre, entre les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes pour la musique, mais également en portant attention aux rapports de force et à la nécessité de soutenir toujours l’auteur, le créateur.

Troisième principe : clarification, protection et responsabilité. C’est l’objet du volet sur l’archéologie préventive, le patrimoine et la richesse des métiers dans ce domaine. J’y reviendrai en détail.

Quatrième principe : innovation et expérimentation pour ce qui concerne l’architecture qui façonne notre quotidien.

Cette loi vient devant vous dans un contexte qui lui donne sens : un budget en augmentation pour la deuxième année consécutive, afin de soutenir la création artistique mais aussi l’accès de tous à la culture, notamment celui des enfants ; une attention constante à l’emploi dans ce secteur, avec la renégociation de la convention d’assurance chômage et le fonds pour l’emploi ; enfin, une volonté de mettre en œuvre une politique partenariale avec les collectivités territoriales qui font le choix de la culture.

Je me réjouis que la commission des affaires culturelles et de l’éducation de votre assemblée ait pu améliorer la rédaction de certains articles. Elle a sensiblement enrichi, sans le dénaturer, le texte transmis par le Sénat. L’article 2, issu des propositions du rapporteur, réaffirme le caractère de service public de la politique en faveur de la création artistique. Il valorise l’action culturelle et l’éducation artistique. Il y a là pour nous une responsabilité majeure.

L’article 3 consacre les labels comme un véritable outil de politique du spectacle vivant et renforce le maillage structurant que constitue le réseau issu des scènes de la décentralisation culturelle.
Le rétablissement de l’article 6 bis a permis, conformément au principe de neutralité technologique, de rétablir le régime de rémunération équitable, aujourd’hui applicable aux radios hertziennes, à l’ensemble des radios diffusées sur internet en flux continu. Je m’en réjouis.
S’agissant de la copie privée, le Sénat avait introduit une mesure qui permet d’assujettir à la rémunération pour copie privée les services de copies proposés par les éditeurs et les distributeurs de services de télévision. Il s’agit de leur permettre de moderniser leur modèle à l’heure des magnétoscopes numériques. Le travail en commission a permis de simplifier la réforme, en la ciblant sur le champ des redevables et en prévoyant une disposition conforme à l’esprit de la copie privée. Le dispositif ainsi adopté permet de la moderniser, tout en préservant le droit exclusif qui demeure le socle de la protection du droit d’auteur et des droits voisins.
S’agissant des articles relatifs aux obligations des chaînes de télévision en matière de financement de la création audiovisuelle, je me réjouis que votre commission ait supprimé les dispositifs introduits au Sénat. Tout en appelant notre attention sur le sujet, ils risquaient de faire échec, s’ils perduraient, au processus de renégociation des relations entre diffuseurs et producteurs. Il faut, en la matière, nous permettre de passer de la réglementation à la régulation.
La loi doit fixer les grands principes, tels que celui d’une contribution des chaînes à la production indépendante d’œuvres. Mais toutes les dispositions subséquentes, bien qu’elles prennent une forme réglementaire, doivent être autant que possible le fruit d’accords qui associent l’ensemble des syndicats de producteurs et d’auteurs aux différentes chaînes de télévision et aux autres diffuseurs. Les amendements adoptés en commission ont permis aux négociations en cours de reprendre sereinement, après les accords qui ont déjà été trouvés pour France Télévisions, en décembre 2015 et encore tout récemment pour Arte.

La nouvelle version de l’article 11 ter relatif aux obligations des radios en matière de musique permet de renforcer la diversité musicale. Elle rend les quotas enfin effectifs. En matière culturelle, suivre la demande est une erreur. Il faut développer l’offre et donner à tous les publics la possibilité de découvrir et d’aimer ce qu’ils ne connaissent pas encore.

Le dispositif proposé pénalise les radios qui diffusent un nombre très faible de titres et récompense celles qui, au contraire, prennent des engagements concrets en matière de diversité. Il introduit plus de transparence dans le contrôle et crée un régime adapté aux radios de découverte musicale. Celles-ci devront pour autant augmenter sensiblement leur programmation d’œuvres francophones.

Ce dispositif est à mon sens équilibré. Toutefois, j’ai entendu les interrogations exprimées par certains membres de la commission. Nous avons donc apporté des précisions quant aux modalités de mise en œuvre du mécanisme voté en commission et à son impact sur la diversité.
Les articles 17 et suivants confortent l’organisation des enseignements spécialisés. Ils renforcent les établissements d’enseignement supérieur artistique en bonne concertation avec l’enseignement supérieur général. Par ailleurs, ils confirment la création d’un Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche – CNESER – art et culture, véritable Parlement de nos écoles, dont les spécificités doivent être reconnues, notamment celle, majeure, d’avoir des artistes et des professionnels pour intervenants.

Sur l’archéologie préventive, votre commission a choisi de revenir à l’essentiel du texte de la première lecture – texte qui était issu d’amendements de votre commission et du Gouvernement. L’archéologie préventive nous permet de remonter le fil de notre histoire et d’un patrimoine qui est celui de l’humanité. Vous avez réaffirmé le rôle de l’État dans la maîtrise d’ouvrage scientifique de la politique publique de l’archéologie préventive, qui s’appuie sur des compétences multiples, tout en reconnaissant le rôle des services archéologiques des collectivités territoriales et celui des opérateurs privés d’archéologie préventive.

Ce texte me semble désormais bien équilibré. Il demeure au service de l’archéologie préventive, laquelle doit se construire en lien permanent avec les territoires, les élus et l’ensemble des aménageurs, mais sous le contrôle scientifique vigilant de l’État.

Sur la question des espaces protégés, élément central de la partie patrimoniale du projet de loi, nous touchons au but. Vous avez repris à votre compte le texte issu des travaux du Sénat, qui avait fait l’objet d’un accord du Gouvernement et des sénateurs. La fusion des trois types d’espaces protégés en une seule catégorie est désormais actée. Ce nouvel espace pourra bénéficier de deux niveaux de protection : un plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine ou un plan de sauvegarde et de mise en valeur.

Je suis particulièrement heureuse que cet élément important rassemble une majeure partie des députés et des sénateurs. Je vous proposerai une appellation commune de ces espaces, sous la dénomination de « site patrimonial remarquable », après le débat qui a eu lieu en commission sur nos différentes propositions.

S’agissant des articles 26 et suivants, l’architecture doit être replacée au cœur de la construction du quotidien. Nous avons malheureusement trop souvent à déplorer son absence. Elle a trop longtemps été considérée comme superfétatoire. Le Sénat avait revu les articles en faveur de l’architecture d’une façon discutable, à mon sens. Si deux points majeurs ont été conservés – le seuil d’intervention de l’architecte et l’expérimentation –, plusieurs dispositions adoptées par l’Assemblée en première lecture avaient été supprimées. Votre commission les a rétablies. Je m’en réjouis, car nous devons développer la présence de l’architecture pour tout le monde et pour le cadre de vie de tous les jours, au-delà des seuls grands gestes architecturaux que nous apprécions aussi.

Dans le domaine du livre, les articles que nous allons examiner sont la traduction de dispositions souhaitées par les acteurs du secteur. Ils prévoient un rapport devant rendre compte au Parlement de l’avancement de la concertation sur l’amélioration des relations contractuelles entre les auteurs et les éditeurs. Celle-ci a d’ores et déjà bien progressé, sous le contrôle et l’œil vigilant du Gouvernement.

Par ailleurs, dans le prolongement du vote en première lecture, il était nécessaire de créer la possibilité pour l’auteur de résilier son contrat dans le cadre d’une procédure simplifiée ne nécessitant pas le recours au juge en cas de non-paiement de ses droits par l’éditeur.

S’agissant de l’examen général du texte en séance publique, le Gouvernement présentera quelques amendements. Sur la pratique amateur, afin de la valoriser dans le respect de l’emploi professionnel, je présenterai un amendement à l’article 11 A, que la commission a heureusement rétabli dans les termes votés en première lecture, pour préciser encore, s’il en était besoin, son cadre. Je le ferai à la lumière des dernières concertations qui ont été menées et qui permettent, je le crois, de proposer un texte équilibré dont l’application devra ensuite être précisée par décret.

Sur le droit de suite, une disposition a été introduite par le Sénat afin que les fondations puissent bénéficier d’un legs du droit de suite sur les œuvres des artistes. En commission, le Gouvernement a souhaité étendre le bénéfice de ce legs à tout type de personnes, là où le Sénat limitait cette protection à certaines fondations. Le Gouvernement présentera un amendement afin d’améliorer cet article, pour que les personnes qui ont la responsabilité de faire vivre l’œuvre d’un artiste, en veillant à sa diffusion ou à sa conservation par exemple, puissent bénéficier de façon adaptée des ressources qu’offre le legs du droit de suite.

S’agissant des espaces protégés, vous vous êtes prononcés en commission, de façon indicative, sur plusieurs propositions : site patrimonial protégé, site patrimonial remarquable, site remarquable et site patrimonial. Je me réjouis que l’appellation « site patrimonial remarquable » l’ait emporté. J’espère qu’elle vous conviendra ainsi qu’au Sénat. Ce nom rappelle qu’il s’agit d’une politique patrimoniale et non seulement d’un label ; en même temps, c’est un nom parlant, qui peut aussi être un vecteur d’attractivité, notamment touristique. Il conjugue l’esprit de protection avec la notion de site. Enfin, il nomme le patrimoine et le fait que les caractéristiques de celui-ci appellent la protection, et donc parfois aussi des contraintes, qui seront mieux comprises et donc acceptées. Le Gouvernement présentera les nombreux amendements nécessaires pour prendre en compte cette nouvelle appellation.

Mesdames et messieurs les députés, le texte est désormais entre vos mains.

Je suis bien évidemment disposée à continuer à l’améliorer au fil du débat, mais je souhaite surtout, au nom du Gouvernement, que ce texte de loi prouve aux artistes, aux professionnels et à nos concitoyens que la représentation nationale porte indéfectiblement une ambition culturelle forte pour le pays.

Je souhaite que le législateur s’en empare totalement, que tous les bancs de l’Assemblée montrent qu’ils partagent comme je le crois cette ambition.

Je vous remercie.