Je suis très heureux de vous recevoir ce soir dans les salons du ministère à l’occasion de votre « carte blanche », pour laquelle vous nous avez réservé, avec vos musiciens, et les choristes issus de vos ateliers lyriques, un récital que nous attendons avec impatience. Je tiens tout d’abord à les remercier tous et toutes chaleureusement.
Surnommée la « Diva des quartiers », l’art lyrique sort avec vous de ses clichés de ses carcans et des idées reçues. Il part à la rencontre des publics les moins avertis. Vous êtes à vous seule un manifeste de la démocratisation de l’art lyrique. La voie que vous avez tracée avec votre talent et votre détermination hors du commun est remarquable.
Artiste engagée, galvanisante et généreuse, vous aimez transmettre votre art aux plus jeunes des habitants du Grand Paris. En puisant dans votre histoire personnelle une force de conviction et d’engagement sans pareilles, vous avez fait de votre parcours l’illustration de ce que la passion peut engendrer.
La vie n’a pas épargné l’enfant que vous étiez : née à Nanterre dans un milieu très défavorisé, accidentée à l’âge de 3 ans par un camion, vous passez vos premières années entre l’hôpital et les maisons de convalescence, soignée par les religieuses de Saint-Vincent-de-Paul. C’est dans la chapelle de l’hôpital que vous découvrez la musique sacrée, à travers laquelle vous oubliez vos souffrances physiques.
Vous commencez votre vie professionnelle par la direction d’un service de comptabilité en entreprise, tout en vous tournant progressivement vers le chant : d’abord vers une chorale, puis vers le Conservatoire international de musique de Paris. Encouragée par vos professeurs, vous intégrez l’Ecole Normale de Musique de Paris d’où vous sortez diplôme en main en 1993. Parallèlement, vous vous formez au Conservatoire de Rungis, dans l’atelier lyrique de Hélia T’Hézan et Gian Koral. S’en suivront des cycles de perfectionnements auprès de professionnels comme Béatrice Gaucet, Laurence Russel Albert ou encore Caroline Dumas de l’Opéra de Paris.
À vos débuts, ce sont les églises et les châteaux qui sont les théâtres de votre voix, puis viennent la salle Cortot, le théâtre du Renard et la salle Gaveau. Après avoir présenté de nombreux récitals dans des salles aussi prestigieuses, vous décidez de créer des spectacles d’arias permettant de rendre l’opéra accessible à tous les publics, accompagnée d’un pianiste et d’un clarinettiste, en rompant avec les représentations habituelles des spectacles d’opéra. Joie de chanter, joie de vivre et engagement citoyen forment votre credo. En 2007, vous créez Carmen, citoyenne ? On y trouve cette volonté de redonner à l’opéra son statut d’art populaire et vivant, qui est à l’origine du festival lyrique dont vous êtes la fondatrice, « De bouche à oreille en Gascogne », entre Gers et Lot-et-Garonne. L’année suivante vous proposez Les Aventurières, un spectacle sur des airs de Mozart et de Rossini, puis en 2009, Samson et Dalila. L’année dernière, vous avez créé le spectacle Drames et légèretés de l’amour d’après Verdi, avec l’orchestre philharmonique de la RATP.
Depuis plus de 10 ans, vous oeuvrez pour l’accès de tous à une forme d’art qui s’est sans doute trop longtemps inscrite sous le signe de l’exclusif. Vous avez mis sur pieds des ateliers d’art lyrique en banlieue, en commençant par Creil. Ces ateliers pédagogiques dans les quartiers défavorisés de France et d’Europe ont pour objectif de faire monter sur scène, aux côtés de professionnels, des personnes n’ayant reçu aucune formation musicale particulière. Au-delà des barrières socioculturelles, votre projet « Une Diva dans les quartiers », par ailleurs soutenu par mon ministère, s’engage pour la diversité et l’accès de tous à l’art lyrique. Avec l’aide de votre époux Christian Le Moal, lui-même chanteur lyrique amateur, vous avez fondé votre enseignement sur les règles de l’entraînement et de l’estime de soi. Vous faites chanter dans vos ateliers lyriques les enfants sur tous les registres, depuis la variété avec Starmania jusqu’à Mozart.
Depuis maintenant un an, vous travaillez avec les jeunes de Bondy et de Colombes. En fin d’année dernière, ils se sont produits à vos côtés dans Il Trovatore d’après Verdi, et accompagnés par l’Orchestre Philharmonique de la RATP, ils se sont donnés en concert sur la scène de l’Unesco à Paris.
Vos initiatives et votre engagement seront récompensés par le Prix Clarins de la « femme dynamisante » en 2011. Femme de plusieurs cultures, celle de l’Islam par vos origines et celle du Christianisme hérité de vos années de convalescence, celle du répertoire lyrique occidental comme des mélodies orientales, vous avez également participé au festival de chants des pays méditerranéens, lors des Journées-Histoire France-Afrique à Condom en février dernier.
Force de résilience, promesse de bonheur, la musique vous aura permis de franchir tous les obstacles qui vous ont été imposés : avec vous chère Malika, tout devient possible, et l’art, pour reprendre les termes de Malraux, se fait anti-destin. Votre détermination, votre énergie, votre ouverture font du bien à tous, y compris aux sphères parfois congestionnées du monde de l’art lyrique. Votre exigence, votre professionnalisme ainsi que vos engagements en faveur de la démocratisation de l’art lyrique, sont exemplaires. À la veille de la Journée internationale de la femme, je tiens à saluer aussi cette alliance du charme et de la force de caractère qui vous caractérise.
Chère Malika Bellaribi-Le Moal, au nom de la République française, nous vous faisons Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.