Le français ne cesse de s’adapter aux évolutions du monde contemporain. Si pour les mots du quotidien cette évolution tend à se faire naturellement, qu’en est-il pour des domaines plus spécifiques, tels que les sciences, les techniques ou les médias ? Réponse à travers l’histoire d’un mot qui a rencontré un succès immédiat : « infox ».

Il figure déjà, selon la linguiste Jeanne Bordeau, dans le palmarès des mots les plus employés par les médias en 2018. Tout juste entré dans le dictionnaire français, le terme « infox », équivalent français de l’expression « fake news », est formé sur « information » et « intoxication ». Mais en quoi sa création était-elle nécessaire ? Et à qui la doit-on ? Petite histoire d’un mot-valise qui sort de l’ordinaire.

De François Ier à nos jours

Tout commence en 1539, lorsque François Ier rend l’usage du français obligatoire pour tous les actes administratifs et juridiques. « Nous voulons donc que dorénavant tous arrêts, et ensemble de toutes autres procédures […] soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement », fait-il valoir dans l’article 111 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Ce texte fondateur, à l'origine du rapport entre l’État et la langue française, inspirera la loi Toubon du 4 août 1994, qui reconnaît au citoyen français le droit de recevoir toute information utile en français. Il guidera également la création du dispositif d’enrichissement de la langue française doté, depuis 1996, d’une commission permanente : la CELF.

Donner une dénomination française aux mots qui n'en ont pas, c'est donner aux citoyens les moyens d'appréhender la modernité

« Le rôle de la Commission d’enrichissement de la langue française consiste à donner une dénomination française à des termes qui n’en ont pas encore », explique Pierrette Crouzet – Daurat, responsable de la Mission développement et enrichissement de la langue française du ministère de la Culture. « Il y a 50 ans, au tout début des travaux du dispositif, les anglicismes à traduire relevaient principalement de la pétrochimie, de l’électronique et de l'informatique. Aujourd’hui, les domaines de pointe sont l’intelligence artificielle, la génétique ou la biochimie », ajoute-t-elle. L’idée sous-jacente étant de donner aux citoyens les moyens de comprendre les évolutions technologiques et les progrès scientifiques, d’appréhender la modernité en somme, pour qu’ils puissent - entre autres - voter en connaissance de cause. 

A cette fin, 19 groupes d’experts répartis dans 14 ministères – chaque groupe comprend autour d'un haut fonctionnaire chargé de la terminologie et de langue française, des spécialistes du domaine concerné et des représentants de l'administration - se portent bénévoles pour accomplir tout au long de l’année une « veille néologique ». Les mots repérés et les éventuelles traduction à leur donner sont discutés au cours d’une réunion mensuelle. « Il y a de nombreux critères à respecter pour qu’un mot soit bien formé et transparent », observe Pierrette Crouzet-Daurat. La recherche du consensus étant de mise, aucun vote ne vient clore les débats. « Si on n'a pas réussi à se convaincre mutuellement, on considère qu’on ne pourra pas convaincre la population d’utiliser un terme », précise Pierrette Crouzet-Daurat.

Fake news ou infox ?

Le terme « fake news » s’est très largement répandu lors de la campagne de l’actuel président des États-Unis, Donald Trump. Sous la direction du haut fonctionnaire Bernard Notari, le groupe d’experts du ministère de la Culture - en charge, notamment, du vocabulaire ayant trait aux médias - a rapidement réalisé que le traduire par « fausse nouvelle » ou « fausse information » ne suffirait pas. En effet, ces deux termes, déjà présents dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, ne laissaient pas transparaitre la nouveauté du contexte dans lequel le mot « fake news » est employé. « Les fake news se répandent principalement sur internet, avec force et immédiateté.  Cela ne ressemble pas du tout à ce qui se passait à la fin du XIXe siècle dans la presse », rappelle Pierrette Crouzet-Daurat. « Il fallait, qui plus est, retranscrire l’intention de nuire : une fake news n’est pas une simple erreur », ajoute-t-elle. Le terme « fallace », proposé dans un premier temps, n’a pas été retenu. Difficile, en effet, de faire revivre ce mot tombé dans l’oubli. « Infox » s’est finalement imposé : court, moderne et percutant, il présente en outre l’avantage d’être immédiatement compréhensible.

On ne peut pas légiférer sur l'entrée d'un mot dans la langue, l'usage et les locuteurs sont rois

Le mot a donc été proposé à la CELF puis soumis à l’Académie française - gardienne du bon usage de la langue depuis sa création en 1635 - afin de s’assurer de sa conformité à l’usage, à la morphologie et à la syntaxe du français. L’avis émis étant positif et le ministre de la Culture ayant donné son accord, le mot « infox » été publié au Journal officiel de la République française. Il a ensuite été mis à disposition des professionnels et du grand public dans la base FranceTerme, qui rassemble tous les termes et définitions publiés par la Commission d'enrichissement.

Mais qu’implique la publication d’un mot au Journal officiel ?  « Cela oblige l’administration à l’utiliser, mais ce n’est qu’une recommandation pour les citoyens », précise Pierrette Crouzet-Daurat. « On ne peut pas légiférer sur l’entrée d’un mot dans la langue. Celle-ci est diverse, multiple, elle n'est pas fixe » reprend-elle. « Un dictionnaire ne comporte que 50 000 mots en moyenne et il en faut près d’un million pour décrire l’ensemble des éléments d’une centrale nucléaire ! ». En français, l’usage et les locuteurs sont rois. Le succès du mot « infox », immédiatement repris par les journalistes et les professeurs, en témoigne.

 

Dans le cadre de la Semaine de la langue française et de la Francophonie, le ministère de la Culture organisera un défi pour les jeunes talents francophones de la publicité. "Stop aux infox" sera inauguré le 18 mars par une rencontre avec Franck Riester, ministre de la Culture, et clôturé le 20 par une remise des prix à France Télévisions

 

Désormais, vous le dites en français !

Le dispositif d’enrichissement de la langue française, mis en place par les pouvoirs publics il y a cinquante ans, a fait entrer de nombreux mots dans notre quotidien. Outre infox, on lui doit notamment : 

alerte professionnelle au lieu de whistleblowing

audition au lieu de casting

commerce équitable au lieu de fair trade

comptant au lieu de cash

covoiturage pour car pooling

décrochage au lieu de dropping-out 

équipage au lieu de crew

éreintage, acharnement au lieu debashing

financement participatif au lieu de crowdfunding

gagnant-gagnant au lieu de win-win

gardien de but au lieu de goal

heure de grande écoute au lieu de prime time

information de dernière minute  au lieu de breaking news

liseuse au lieu de e-book

mise en récit au lieu de storytelling

navette au lieu de shuttle

tablette au lieu de pad

tirs au but au lieu de penalties

Retrouvez près de 8 000 termes parus au Journal officiel sur http://www.culture.fr/franceterme,déposez vos suggestions dans la « Boîte à idées », et abonnez-vous pour recevoir les listes dès leur parution au JO.