Alors que les "12h de la scénographie" débutent aujourd'hui, mercredi 10 juillet, le metteur en scène et scénographe Philippe Quesne, prix du meilleur pavillon à la Quadriennale de Prague 2019 où il a représenté la France, nous parle de l’art de composer une scène. Entretien.

Le Pavillon français vient de remporter une importante récompense à la quadriennale de Prague, une manifestation internationale qui réunit les décorateurs et scénographes du monde entier. Est-ce le signe de l'émergence d'une "école française de la scénographie" ?

Ce prix, accordé à la France à l'occasion de son retour à la Quadriennale après quinze ans d’absence, met à l’honneur la création scénographique au sens large. En France, il existe une grande variété de formations de scénographie dans les écoles d’art, de théâtre et d’architecture – et autant d’approches du métier. Difficile, au vu de cette richesse, de parler d’une école française de la scénographie… La scénographie tend, dans mon travail, à se rapprocher de l’art contemporain, mais d’autres sensibilités existent, bien entendu.

Yannis Kokkos et Antoine Vitez, Richard Peduzzi et Patrice Chéreau... ces duos de scénographes et de metteurs en scène ont marqué l'histoire du théâtre en France

Le travail des scénographes et des décorateurs est un travail de l’ombre, souvent connu des seuls spécialistes. Comment définiriez-vous la place qu’occupe la scénographie dans le spectacle vivant ?

Dans la tradition française, il n’est pas rare qu’un scénographe se trouve aux côtés du metteur en scène. Parmi ces grands noms de la scénographie, que l’on associe aujourd’hui à des mouvements esthétiques forts, figurent par exemple Yannis Kokkos, en duo avec le metteur en scène Antoine Vitez, ou encore Richard Peduzzi, l’« alter ego » de Patrice Chéreau.

Un scénographe est en quelque-sorte le co-auteur d’un spectacle : il lui apporte un espace, il est porteur d’une dimension dramaturgique essentielle. Aujourd’hui, de plus en plus d’artistes s’occupant de la scénographie s’orientent vers la mise en scène ou la chorégraphie, à l’instar de Gisèle Vienne ou de Phia Ménard. La scénographie étant, bien souvent, indissociable de l’écriture, cette évolution est tout à fait logique.

Moins connue que la biennale de Venise, la Quadriennale de Prague offre pourtant une visibilité internationale à la scénographie. Cette discipline gagnerait-elle à être davantage exposée et connue ?

Elle l’est de plus en plus, comme en témoigne le nombre de visiteurs – croissant – de la Quadriennale et l’intérêt mondial qu’éveille la discipline. En France, les formations de scénographie sont très prisées des étudiants. Elles offrent de nombreux débouchés, à l’image des champs d’intervention du scénographe : architecture, théâtre, musée…

Cette année, c’est votre proposition "Microcosm", qui a séduit le jury et valu à la France le prix du meilleur pavillon. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce « décor de fin du monde » ?

J’invente souvent des micromondes, des reconstitutions de la réalité évoquant des parcs d’attraction ou des lieux futuristes. Les questions relatives à l’environnement, à la possible disparition de l’homme sont également au cœur de mon travail. Ce pavillon constitue donc un concentré de mon univers. Il prend la forme d’un cube, dans lequel le spectateur aperçoit, par des baies vitrées, des formes, des matériaux qui se meuvent doucement. Un piano mécanique accompagne leurs oscillations en jouant, seul, des mélodies mélancoliques. Les matériaux sont d’une extrême simplicité, ils font partie du quotidien du décorateur scénographe : papier, polystyrène, mousse, plastique, fourrure… Ils sont dans cet espace comme des danseurs dans une chorégraphie, éveillant une forme d’empathie chez le spectateur.

A côté de cette installation, entièrement automatisée, Il y a une grande typographie “no nature, no future”, soit un signal d’alerte par rapport à la menace écologique actuelle. Le scénographe est un artiste un peu curieux qui a l’habitude de représenter le monde, d’où une extrême sensibilité aux problèmes que traverse la planète du fait de l’activité humaine.

Le 10 juillet, la Quadriennale se poursuit avec les 12h de la scénographie au festival d'Avignon. A cette occasion, le pavillon « Ecoles », deuxième pavillon français de la Quadriennale de Prague, conçu par huit étudiants-scénographes sous votre direction, sera exposé dans la Calade. En quoi ce projet vous tient-il à cœur ? Comment ce travail avec des étudiants a-t-il été vécu ?

Je leur avais proposé de venir réfléchir à leur projet aux Amandiers, à Nanterre, dont je suis le directeur, et ils on investit nos ateliers de construction pendant un an. Chacun de ces étudiant est issu d’une école différente, d’où le nom de leur projet « la neuvième école », qui renvoie à l’idée qu’un tout ne se limite pas aux parties qui le compose et que huit regards différents donnent lieu à une entité neuve. Leur pavillon prend la forme d’une scénographie mobile, aménagée dans un camion. Plusieurs performances y ont été données à Prague, et le camion continue aujourd’hui de sillonner les routes, riche de chaque nouvelle expérience, chaque nouvelle rencontre. C’est un très beau projet qui, je l’espère, constitue le prémisse d’une longue aventure.

La plupart de ces étudiants seront présents au festival d’Avignon, qui sera pour nous une occasion de revenir sur cette expérience inédite qu’a été la quadriennale de Prague. Des films et des documentaires, réalisés par leurs soins, seront présentés à cette occasion

Les 8 écoles ayant participé au Pavillon français de la Quadriennale de Prague : École nationale supérieure d'architecture de Nantes, Nantes / École nationale supérieure des Arts Décoratifs, Paris / École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre, Lyon /  École nationale supérieure d’architecture Paris La Villette, Paris /  École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, Paris / Haute école des arts du Rhin, Mulhouse-Strasbourg / École du Théâtre national de Strasbourg, Strasbourg / Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, Paris

Le programme des 12h de la scénographie

De retour de la Quadriennale de Prague, douze heures exceptionnelles auront lieu le 10 juillet, de midi à minuit, à la Maison Jean Vilar (Avignon) en compagnie de Philippe Quesne, des étudiants-scénographes et de nombreux invités.

A cette occasion, l’un des deux pavillons français, le camion de la « Neuvième école » sera exposé et des films inédits, réalisés par l’ENSAD et ARTCENA, seront projetés. Des performances des étudiants de l’ENSAD et des lectures de textes ayant inspiré la création des pavillons français ponctueront également cette journée, qui se conclura par un échange autour du thème « Mondes imaginaires… mondes possibles ? » puis une soirée dansante à la Calade.

Le programme détaillé est disponible ici.